La freccia e il cerchio
anno 3, numero 3, 2012
pp. 145-147
5.
André Jacob
Le familier et le festif
Le déplacement du familial au familier pourrait bien accentuer le contraste avec le festif car un trait majeur de la familiarité est de se faire oublier, à l’encontre de tout remue-ménage que peut entraîner la fête. Cependant un autre aspect du familier peut comporter une intensification de l’expérience, comme dans la confiance de l’amitié. C’est peut-être alors l’instauration durable d’un «être à la fête» exprimant non une banalisation qui la contredirait, mais une réussite affective ou axiologique.
Du point de vue figuratif, la circulation du familier devrait ne pas subir les flèches de l’insolite. Mais, dans la mesure où la familiarité n’est pas suffisance, elle tend à rejoindre la tension conique, capable de vections honorant la diversité. Ainsi, les crises de la famille – en désordre, selon le titre récent d’Elisabeth Roudinesco – sont celles d’une sécurité qu’elle ne saurait garantir, traversée par bien des conflits irréductibles. C‘est en partie par son biais que la clôture – la sphérisation – fait problème, malgré la décharge de responsabilité à laquelle beaucoup tendent à céder. Aussi, le passage de la sphère familiale à la quête de densité et de diversité d’une familiarité vivace illustretil les déplacements de l’institutionnel vers l’instanciel, au bénéfice d’une personnalisation ouverte.
Dès lors, la relativisation des tâches et des emprises relevant de la famille démultiplie les filiations à nouer dans nos milieux toujours plus fluents et complexes. S’il y a une régulation, c’est grâce au recul d’oppositions qui ne remplissaient pas le rôle qu’on leur assignait, celle de l’âme et du corps, notamment, où l’on ne pouvait attendre sans arbitraire l’action élévatrice de l’une, par rapport aux baisses d’un corps destiné luimême à s’élever: à la faveur d’une station debout qui ne saurait être ni un terme, ni une fin en soi. Plutôt une station – c’est le cas de le dire, comme stare – afin de promouvoir toute sorte de formations symboliques, qui tisseront le monde du sens, pour ne pas dire la «vie de l’esprit». La substantialité, longtemps supposée de la notion d’âme, ne la laisserait pas moins nue ou indéterminée – et non transie par une bonne volonté native – face aux assauts de la violence pouvant être prodiguée par des corps.
Au contraire, l’«instancialité», largement insoupçonnée, qui ne cesse de spécifier le «devenir Sujet» de l’individu qu’est notre corps, contribue à étayer des réactions d’autonomie et d’ouverture relationnelle. Car elle conditionne des visées existentielles, que n’autorisent pas nos références au vital. Le façonnement de l’instanciel – dont les «instances de discours» d’Emile Benveniste pourraient être l’une des modalités – est sans doute nécessairement l’ex-istentialisation de la vie. Car c’est la langue elle même qui entre en jeu, pour permettre de passer d’instances métaphysiques à des instances théorétiques, qui permettent de réfléchir l’univers et de nous adresser d’une manière cohérente à nos semblables. Pour ce faire, il y a sans doute un processus incessant d’«instancialisation» (que nous proposions en 2004 au Séminaire de Claude Hagège au Collège de France), qui contribue au «devenir Sujet» conquis sur un «devenir sujet» passif préalable. Cela, en l’articulant sur un Instans/constans qui relaie le stans corporel et ouvre à des procès de temporalisation notre situation spatiale de présence à un milieu cette constructivité inédite est sans doute, en vue de notre expérience temporelle, coextensive – à fin de rapports démultipliés et abstraits à l’espace – à des mouvements de symbolisation et à un processus d’auto-nomisation, où la spontanéité du corps se réfléchit dans un Soi, dont l’ouverture à l’Autre tranche avec une égoisation nous rabattant dans un champ – aliénant – du Même. Ainsi l’instancialisation ne constitue pas un détour arbitraire pour éclairer la familiarité. Elle fournit les mailles d’un tissu – interprétable comme un texte essentiel à notre existence et à nos interlocutions. Le développement dans l’instancialité, condition de puissance, de hauteur et de réciprocité, autorisant des filières de qualification plurielle de la vie, contribue à ce que des affects outrepassant une rigueur anémiante produisent du festif.
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